Le combat acharné d'Annick pour André
Il y a dix-neuf ans, André Rigault, 41 ans, ingénieur civil de la Direction des constructions navales mourait dans l'arsenal d'Indret. Annick, sa veuve, n'a jamais cru au suicide. Elle vient de saisir le Défenseur des droits.
Cette femme toute menue aux cheveux blancs et tirée à quatre épingles « n'abandonnera jamais ». Annick Le Saux, 67 ans, mène un combat judiciaire depuis bientôt dix-neuf ans contre les arsenaux de la marine nationale et leurs secrets. Elle refuse de croire « à la thèse toute faite du suicide » que « les autorités judiciaires et militaires ont choisie », dit-elle, de lui « imposer ». Le 12 janvier 1998, le père de son fils alors âgé de 13 ans, André Rigault, 41 ans, ingénieur civil de la Direction des constructions navales (DCN), était retrouvé mort au pied d'un pont roulant de dix mètres de hauteur à l'arsenal d'Indret, non loin de Nantes. Sur ce site militaire protégé, la DCN met au point les sous-marins Agosta, et les frégates de chasse Sawari 2.
« Annick Le Saux tente aujourd'hui d'obtenir la levée du secret-défense dans un dossier verrouillé, pour obtenir la vérité dont elle est privée », estime Me Emmanuel Ludot, son avocat, qui a entamé une démarche auprès du Défenseur des droits qui vient d'accuser réception de sa demande. Un choix délibéré pour contourner un système judiciaire « obtus » selon l'avocat.
« La mort d'André a brisé ma vie. Je ne m'en suis jamais remise. Tout le monde me disait qu'il fallait que je renonce pour passer à autre chose. C'est non, ce serait le trahir à jamais. On a voulu me faire croire au suicide. J'ai passé dix-huit ans auprès d'André et s'il y a quelqu'un qui le connaissait bien, c'est moi. Il m'aurait laissé un mot. Rien dans notre vie ne pouvait laisser présager un suicide », assure Annick Le Saux.
« Un suicide tellement parfait et si scénarisé que l'on peut en douter légitimement », renchérit Me Emmanuel Ludot qui décrit « une vie sans aucune ombre » de l'ingénieur. « L'enquête des gendarmes de l'arsenal a décrété que c'était un suicide et qu'il avait une liaison », s'offusque sa compagne face « à des insinuations sans fondement ».
L'emploi du temps d'André Rigault ce 12 janvier 1998 comporte un trou de plusieurs heures. A partir de 14 heures, personne ne sait ce qu'il a fait jusqu'à la découverte de son cadavre au pied du pont roulant après 19 h 30. Le matin même, il avait eu un entretien avec son supérieur, un ingénieur de l'armement, avec lequel les relations n'étaient plus au beau fixe.
En sus de l'enquête de la gendarmerie de l'arsenal, la Direction de la surveillance du territoire (DST), aujourd'hui partie intégrante de la DGSI, a mené ses investigations sur cette affaire. Des éléments jamais transmis au dossier d'instruction lorsqu'Annick a porté plainte pour assassinat. Secret-défense. Tout comme le contenu de l'ordinateur où l'ingénieur rédigeait ses calculs pour rendre les modules d'énergie des sous-marins plus discrets. André Rigault, surnommé Nimbus, était avant sa disparition « en désamour avec l'armée » selon sa compagne. « Il ne se reconnaissait plus dans ce travail », assure-t-elle. Il voulait quitter la DCN pour rejoindre l'Ecole des mines comme enseignant-chercheur. André était-il prêt à vendre son savoir-faire à d'autres ? « C'est une question qui doit être posée, car on sait que le jour de sa disparition il a quitté l'enceinte de l'arsenal. Pour faire quoi ? Pour voir qui ? » interroge Me Emmanuel Ludot.
Autant de questions auxquelles l'enquête, close par un non-lieu, n'a jamais répondu. L'ingénieur se serait pendu au sommet du pont roulant avant que la corde ne casse et fasse chuter le corps, provoquant une fracture du crâne. Mais aucune autopsie n'est venue déterminer les causes de la mort, en dépit d'un « obstacle médico-légal » signalé par un médecin du Samu. Aucun des éléments retrouvés sur place, comme des mégots de cigarette, n'a été analysé. « A l'arsenal, même les syndicats n'ont pas voulu bouger. Ce décès faisait du tort à la réputation de la DCN. C'est un milieu très particulier, les arsenaux... » peste Annick Le Saux. « Je veux juste la vérité », martèle la compagne d'André, plus déterminée que jamais.
Source : Le Parisien