Les créateurs d’une pièce de théâtre, fortement inspirée de « Monsieur Klein », film coproduit et interprété par Alain Delon en 1976, ont besoin de son accord pour son hologramme. Vu les doutes sur la lucidité de l’acteur, leur avocat préfère que la justice charge une personne de cette mission.

Quel est l’état de santé exact d’Alain Delon ? À 88 ans, le monstre sacré du cinéma, retiré dans sa propriété de Douchy (Loiret), souffre d’une longue maladie qui l’affaiblit beaucoup au plan physique, comme tous les témoignages de ses proches le rapportent. Son degré de clairvoyance est en revanche plus difficile à apprécier. Entre le constat d’ un discernement « totalement aboli » , établi par un médecin, et l’affirmation faite par son avocat cette semaine au Parisien soutenant qu’Alain Delon est « toujours très cohérent », il y a un gouffre.

Face à cette incertitude, les créateurs d’un projet théâtral inspiré du film « Monsieur Klein », chef-d’œuvre produit et interprété par Alain Delon sorti en 1976, souhaitent ne prendre aucun risque en sollicitant l’autorisation de l’acteur pour utiliser son hologramme dans cette pièce intitulée « Monsieur Klein, pourquoi pas vous ? »

Selon nos informations, Me Emanuel Ludot, conseil du scénariste André Bendjebbar et du metteur en scène Iulian Furtuna, a adressé une requête au procureur de Montargis (Loiret) afin qu’il désigne un administrateur ad hoc qui, après avoir pris connaissance de ce projet artistique, serait chargé de recueillir l’avis, voire l’accord d’Alain Delon. Cette personne ne serait pas médecin et sa mission se limiterait à cette question culturelle.

Passer par la justice plutôt que par l’entourage de l’acteur

« Le scénariste envisage dans le cadre de la mise en scène la présence de M. Delon sous forme d’hologramme. Cela pose la question des autorisations indispensables de l’acteur dans le cadre de son droit à l’image », précise l’avocat dans sa requête, en s’interrogeant sur les « possibilités intellectuelles » actuelles de la star, à la lumière des déclarations de ses proches depuis que « l’affaire Delon » a éclaté en juillet, avec la plainte des trois enfants contre Hiromi Rollin, la dame de compagnie de leur père .

Me Ludot s’est donc adressé au procureur de Montargis, qui vient de classer les plaintes croisées des enfants Delon et celle qui affirme être sa compagne . Le même a saisi, jeudi, un médecin habilité afin d’évaluer la situation d’Alain Delon dans le cadre d’une potentielle mesure de protection judiciaire, la star ayant été visitée par un médecin dès samedi, comme l’a révélé BFMTV dimanche.

Pourquoi passer par la justice plutôt que par l’entourage direct du comédien ? « La presse rapporte plus que largement les déchirements de l’entourage familial de l’acteur. Il me semble qu’il règne une totale confusion, voire des conflits d’intérêts. Je me suis donc dispensé de toute démarche à cet égard », justifie-t-il dans sa requête.

« Fer de lance de la lutte contre l’antisémitisme »

Cette initiative, bien qu’orientée vers le magistrat du Loiret, n’est pas un épisode de plus dans la saga déclenchée en juillet. Le scénariste et le metteur en scène de « Monsieur Klein, pourquoi pas vous ? » aimeraient avoir l’assurance qu’Alain Delon puisse donner ou pas son feu vert en connaissance de cause. D’autant que leur projet original est aussi un hommage à l’un des plus grands acteurs français. « André Bendjebbar considère que cette pièce est faite pour servir et grandir la mémoire de l’acteur et l’engagement noble de celui qui fût, à sa manière, un fer de lance de la lutte contre l’antisémitisme », appuie Emmanuel Ludot en référence à « Monsieur Klein ».

L’intrigue de ce long-métrage, César 1977 du meilleur film, se passe en effet pendant l’Occupation allemande en 1942 et évoque la rafle du Vél d’Hiv , un récit sombre dans une période de l’histoire, qui, à la fin des années 1970, est encore taboue. Le choix d’Alain Delon, à l’époque, ne coulait pas de source. Il a pourtant embrassé ce projet ambitieux et risqué, acceptant de coproduire le film tiré d’un scénario coécrit par Costa Gavras. Lorsque le producteur Norbert Saada lui a apporté un matin le scénario, Delon a donné son assentiment le soir même et avec enthousiasme, raconte le journaliste du Monde Samuel Blumenfeld dans un article consacré à ce film culte de Delon.

Non seulement Alain Delon a accepté de coproduire un long métrage sur un sujet « qui faisait peur à tout le monde », mais il a décidé de jouer le rôle de Robert Klein, marchand d’art sans scrupule achetant à vil prix des œuvres à des Juifs aux abois. Un personnage aux antipodes de ceux qu’il avait jusqu’ici interprétés, ont redouté certains.

Un César de meilleur film et un statut de chef-d’œuvre

Un personnage, au contraire, qui se trouve en phase avec plusieurs grands rôles de l’acteur, Delon étant si souvent double à l’écran, estime Samuel Blumenfeld. « Ce film, je devais le faire » , soulignera dans Le Monde en 2003, lui qui avait eu près de trente ans plus tôt « l’idée, brillante, de proposer Monsieur Klein à Joseph Losey », écrit Samuel Blumenfeld. S’il n’a pas rempli les salles comme escompté, le film a gagné un César et son statut de chef-d’œuvre chez d’innombrables cinéphiles.

L’histoire de Monsieur Klein, qui part sur les traces de son homonyme juif dans une quête identitaire qui le conduira au même sort funeste de déporté que son double, a donc inspiré la pièce « Monsieur Klein, pourquoi pas vous ? » à l’historien et auteur André Bendjebbar. Le metteur en scène, Iulian Furtuna, a quant à lui imaginé un hologramme atteignant jusqu’à 16 m de haut, en fonction des salles.

Vu son attachement à son film de 1976, nul doute qu’Alain Delon, s’il est en pleine possession de ses moyens, tiendrait vraisemblablement à donner son avis sur cette pièce et le recours à son hologramme.

Source : Le Parisien